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]]>La courbe de Laffer a été dessinée sur un coin de table par Arthur Laffer en 1974, au cours d'une présentation à Dick Cheney et Donald Rumsfeld, alors membres de l'administration Nixon, pour illustrer l'idée suivante. Supposons que le taux d'imposition soit de 0% : alors les recettes fiscales seront de zéro. Supposons que le taux d'imposition soit de 100% : les recettes fiscales seront aussi de zéro, personne ne voulant travailler si la totalité de son revenu part en impôts. Entre ces deux extrêmes, il y a un maximum, le taux d'imposition qui maximise les recettes fiscales.
Il y a une conséquence logique : au delà d'un certain niveau, augmenter le taux d'imposition va faire baisser les recettes fiscales. Ce qui implique que si ce niveau est dépassé, baisser les impôts fait monter les recettes fiscales. Pour peu que l'on soit dans cette zone, le gouvernement bénéficie donc d'un repas gratuit : il peut faire plaisir aux électeurs et baisser les impôts, tout en recevant des recettes fiscales supérieures.
Voilà la totalité de la "théorie" de la courbe de Laffer. Il faut noter que ce raisonnement peut être appliqué à tout et n'importe quoi. Par exemple, la courbe de Laffer de l'orchestre. Zéro musicien, pas de musique. 10 000 musiciens, une cacophonie ingérable. Entre les deux, il y a l'optimum de nombre de musiciens dans l'orchestre. Ou alors la courbe de Laffer du nombre de libéraux en France : zéro libéral, les idées libérales ne sont pas diffusées en France. Trois libéraux, ils passent leur temps à se chamailler entre le Randite, le Rothbardien et le Réactionnaire (ne demandez pas...) et il n'y a aucune diffusion des idées libérales en France. Entre les deux, il y a le nombre optimal de libéraux en France pour la diffusion des idées libérales.
Sa simplicité, son apparence de scientificité (une courbe, ça fait sérieux) son accord avec l'air du temps ont pourtant fait de ce pseudo-raisonnement l'un des plus grands succès du marketing politique de tous les temps. Comme l'a expliqué Guy Sorman, avant Laffer, la révolte fiscale était une affaire de beauf poujadiste; après, c'était de la science économique. Depuis, la courbe de Laffer est dans le débat public comme le sparadrap du capitaine Haddock : impossible de s'en débarrasser.
Chaque fois qu'un gouvernement annonce que les recettes fiscales d'une hausse d'impôt sont inférieures aux prévisions, ca ne manque pas : un commentateur va invoquer "l'effet Laffer". Alors qu'il n'y a là aucun effet Laffer, mais une simple erreur de prévision. Rappelons qu'un effet Laffer est une situation dans laquelle la hausse des impôts réduit les recettes fiscales.
Lorsqu'un impôt augmente, le contribuable peut réagir de trois façons différentes. La première, c'est de ne pas réagir du tout, de subir en maugréant cette ponction supplémentaire sur son revenu. La seconde réaction possible est un effet de substitution : puisque la rémunération du travail diminue suite à cette hausse d'impôt, il est moins intéressant de travailler et d'épargner; ou alors, il devient plus intéressant de frauder en dissimulant une partie de son revenu; ou de modifier son comportement pour faire payer la hausse d'impôt par quelqu'un d'autre (problème classique de l'incidence fiscale) ou enfin, de faire du lobbying auprès de son député pour obtenir une niche fiscale pour que ce soient les autres qui paient, et pas moi. Il est enfin possible de décider de travailler plus pour compenser cette perte de pouvoir d'achat; c'est un effet de revenu qui s'expliquerait par l'aversion à la perte bien connue en économie comportementale. On appelle "effet Laffer" le cas particulier dans lequel l'effet de substitution l'emporte tellement sur les autres que la hausse du taux d'imposition réduit la recette fiscale totale. Dans cette configuration réduire le taux d'imposition accroît la recette fiscale.
Cela peut sembler trop beau pour être vrai (du Vaudou, disait George Bush père dans les années 70) mais le vrai effet contre-intuitif, c'est l'effet de revenu, qui suggère qu'il serait possible de faire sans arrêt tendre les taux d'imposition vers 100% sans perte de recette fiscale ni effet négatif sur l'économie : les gens compenseraient chaque hausse d'impôt par un travail supérieur et les recettes fiscales ne cesseraient d'augmenter. La hausse d'impôt qui augmente le PIB, ça, c'est de la vraie magie.
Et comme toujours en économie, ce qui est trop beau pour être vrai n'est tout simplement pas vrai. On pourrait d'ailleurs s'en douter. Effectivement, les gens peuvent essayer de compenser en travaillant plus les pertes de revenu causées par les impôts; mais il n'est pas possible d'augmenter indéfiniment sa quantité de travail. L'effet de revenu a donc certainement une limite. De la même façon, l'effet de substitution a certainement une limite aussi. Après tout, même dans les camps de prisonniers, les prisonniers travaillent, sans rémunération, parfois avec zèle et efficacité.
Selon Laffer, les USA étaient au delà du maximum de sa courbe, ce qui promettait que des baisses d'impôt allaient élever les recettes fiscales. Un argument bien commode, mais qui ne s'est pas produit. Les baisses d'impôt de Reagan ont conduit les recettes fiscales à diminuer et les déficits à exploser; les hausses d'impôt de George Bush père et de Clinton ont fait monter les recettes fiscales; les baisses d'impôt de Bush fils les ont fait baisser. Dans la vraie vie, ce qui doit arriver, arrive.
Cela dit, un tel effet Laffer est possible en théorie. Il faut alors identifier les déterminants de l'effet de substitution, mais il y en a des quantités. Tout dépend aussi de l'utilisation faite des recettes fiscales. Si l'impôt accru d'une personne sert à augmenter le salaire de son conjoint, l'effet de substitution sera faible (et deviendra soudain infini en cas de divorce). Si l'on augmente ma CSG pour maintenir ma retraite future, mon effet de substitution dépendra de ma confiance dans la promesse de hausse de retraite. Si l'impôt accru est un impôt de guerre levé précipitamment pour défendre le pays contre une invasion, ce n'est pas pareil que s'il sert à verser des allocations à une partie de la population perçue comme "profiteurs".
Empiriquement, on trouve quelques exemples de hausses de recettes fiscales consécutives à des baisses d'impôt. Le problème est alors d'identifier la raison de cette hausse. Souvent les gouvernements qui font de grandes réformes fiscales les accompagnent de toute une série d'autres éléments (politique monétaire, dévaluation, réformes structurelles, modification de la nature des dépenses publiques...) qui font qu'il est impossible d'identifier l'effet du seul changement de fiscalité. Il est par ailleurs impossible de savoir ce qui se serait passé sans la réforme de la fiscalité : si le changement intervient une année de récession, le PIB et les recettes fiscales auraient de toute façon augmenté lorsque l'économie revient à la normale, même sans changement de la fiscalité. En somme la proposition Laffer est invérifiable empiriquement.
La réponse à toute question en sciences sociales est "ça dépend". Et toute la difficulté est d'identifier patiemment de quoi cela dépend. C'est un travail qui n'est guère compatible avec le besoin de slogans du débat public.
]]>Le PSG a mis en place un système de primes supposé inciter ses deux buteurs, Cavani et Ibrahimovic, à coopérer sur le terrain, afin d'empiler les buts pour leur équipe.
La règle pour Ibrahimovic est la suivante : il touche une grosse prime (1,5 million d'euros) s'il finit premier d'un classement buts et passes décisives. On peut donc dire qu'une passe décisive est équivalente pour lui à un but dans cette course. Pour Cavani, il s'agit de finir meilleur buteur du championnat, pour toucher une prime (de 750 000€). L'objectif du club est que la somme des buts des joueurs soit maximisée.
Première remarque : la prime des deux joueurs est en proportion de leur salaire, environ un mois de salaire. Je ne suis pas certain que ce soit un calcul optimal du point de vue des incitations (pour Cavani surtout), mais le montant présente une sorte de cohérence d'un point de vue d'un critère égalitariste. Cela doit en principe éviter les frustrations possibles et leurs conséquences sur le terrain.
A chaque fois qu'Ibrahimovic touche le ballon à proximité du but adverse, il a toujours intérêt à ce que quelqu'un marque ; lui ou un autre. Il a deux stratégies possibles : tirer ou passer. Sa décision sera donc prise sur la base des probabilités qu'une stratégie fonctionne mieux que l'autre. S'il estime être le mieux placé pour marquer, il tire. Sinon, il passe. Peu importe qu'il passe à Cavani ou à un autre joueur. Mais compte tenu du placement normal sur le terrain des attaquants, à chaque fois qu'il aura à choisir, la probabilité que Cavani soit le récipiendaire naturel de la passe sera élevée. Dans le cas où un autre joueur est en concurrence avec Cavani pour recevoir la passe, on peut également supposer que Cavani aura le plus de chance d'être choisi, pour ses talents de buteur. Ibrahimovic n'a aucun intérêt à donner le ballon à un partenaire moins doué devant le but, puisque cela réduit la probabilité que sa passe soit décisive. En d'autres termes, les intérêts d'Ibrahimovic semblent bien conformes à ceux du PSG.
Pour Cavani, il faut marquer des buts. Devant les buts adverses, sa stratégie dominante devrait donc être systématiquement de tirer, puisque donner un ballon décisif à Ibrahimovic ne lui rapporte rien. C'est ce que relève Le Parisien à la fin de son article. On peut néanmoins nuancer cette version. Sur une seule séquence, elle semble valable. Mais sur plusieurs (un genre de jeu répété), elle contient certaines limites. En ne donnant pas le ballon à Ibrahimovic quand il est le mieux placé pour marquer, Cavani peut réduire la probabilité qu'Ibrahimovic lui donne le ballon à la prochaine action. Pas parce que celui-ci serait vexé. Simplement parce qu'à force de tenter de marquer, y compris lorsque ce n'est pas justifié, Cavani réduira forcément son ratio buts/tirs (puisqu'il fera de mauvais choix). Ce qui pour Ibrahimovic doit logiquement l'amener à revoir à la baisse la probabilité moyenne que Cavani exploite décisivement l'une de ses passes et le conduirait à opter plus souvent pour un tir (qui mécaniquement serait plus susceptible d'aboutir à un but). Ce qui serait mauvais pour Cavani.
Un dernier point concerne le placement sur le terrain. Cavani joue à droite (du moins pour le moment), alors que le système d'incitations semble davantage construit pour le faire jouer au centre. Je ne vois pourtant pas de véritable argument pour mettre en doute la rationalité du système sur cette base. En jouant en pivot, Ibrahimovic peut à la fois marquer et donner le ballon pour Cavani, en fixant davantage l'attention des défenseurs.
Bien évidemment, on suppose la rationalité des protagonistes, libérés notamment d'une forme de biais d'excès de confiance, qui leur laisserait penser de façon erronée que la probabilité qu'ils puissent marquer est supérieure à ce qu'elle est réellement. Irrationalité qui les conduirait de facto à privilégier le tir systématiquement (parce que marquer pour Ibrahimovic reste plus gratifiant et que c'est le seul objectif de Cavani).
Donc, finalement, il ne semble pas si mal ce système. C'est l'occasion de vous rappeler que déterminer des incitations efficaces n'est pas simple, comme le montre Maya Beauvallet dans un livre très distrayant. Bon, eh bien, je crois qu'il ne reste plus à l'OM qu'à faire pareil avec Gignac et A.Ayew. Nan, j'déconne...
Remarque : désolé, toujours pas de commentaires, pour des raisons de protection anti spam toujours inopérante.
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